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Raymond Oliver premier chef à la télévision

De nos jours, alors que fleurissent sur toutes les radios et toutes les télévisions, des programmes consacrés à la cuisine et à la gastronomie les émissions de Raymond Oliver et Catherine Langeais Art et magie de la cuisine font figure de référence constamment évoquée dans ce domaine. Elles ont contribué à inventer la tradition des émissions de cuisine à la télévision. Celles-ci ont épousé les transformations des modes de vie et des pratiques culturelles.

On oublie souvent que les premières émissions de la radiotélévision française (RTF) consacrées à la cuisine ont été présentées dès 1953 par le comédien Georges Adet sous le titre Les recettes de Monsieur X  Assis devant une table de cuisine, dans un studio de télévision, l’acteur exécute, tout en parlant beaucoup, une recette qu’il commente sur un ton didactique en expliquant à la fois comment faire par exemple pour ne pas pleurer en épluchant des oignons, mais aussi l’origine des ingrédients utilisés, leur place dans l’histoire de l’alimentation depuis les Hébreux et les Romains. Les interventions de Georges Adet ne semblent pas avoir rencontré de succès, probablement en raison de leur ton trop professoral peu adapté à l’objet. De plus l’animateur s’était associé à une grève à la télévision en 1953. Le cuisinier Raymond Oliver est alors pressenti pour le remplacer une première fois en novembre 1953 où il présente une de ses spécialités : « Le pigeon Prince Rainier ». Son émission devient régulière à partir de 1954. Au moment où il accepte de l’animer, Raymond Oliver est déjà connu dans le monde de la restauration gastronomique. Il est le chef du restaurant Le Grand Véfour et a reçu trois étoiles dites « de bonne table » au Michelin. Art et magie de la cuisine est diffusée régulièrement, avec une fréquence hebdomadaire, jusqu’au 18 septembre 1966 Puis à partir de 1967, Raymond Oliver et Catherine Langeais animent l’émission À quatre mains.

La famille Oliver

La biographie de Raymond Oliver nous est connue en particulier à travers des interviews qu’il a accordées, à travers les nombreux écrits à caractère de mémoires qu’il a rédigés, par les articles de magazines de télévision qui lui sont consacrés et par les récits de son fils Michel Oliver Raymond Oliver aimait à se raconter et à expliquer l’itinéraire qui l’a conduit de l’hôtel familial de Langon, dans une région de vignobles, où son père Louis Oliver tenait un hôtel et restaurant gastronomique connu, jusqu’au restaurant du Grand Véfour à Paris. De l’hôtel Oliver, Raymond Oliver écrit en 1984 « qu’il reste la grande époque de ma jeunesse, […] la plus marquante dans l’apprentissage de mon art  ». Raymond Oliver y a appris la cuisine et ses règles, sous la conduite ferme de son père qui entendait lui enseigner la tradition. Cette formation familiale et traditionnelle dans un milieu de restaurateurs et de chefs se complète très vite par son goût pour la littérature culinaire et les livres de cuisine anciens qu’il évoque volontiers et qu’il collectionne  Il se réfère au viandier de Taillevent, aux livres d’Escoffier  qui l’inspirent pour la réalisation de certaines de ses recettes. Après avoir fait ses premières armes auprès de son père, Raymond Oliver poursuit ses apprentissages dans un grand hôtel parisien, Le Grand Chambord où il s’initie à l’organisation des brigades culinaires et affirme son goût pour le métier. Pendant la guerre, il ne peut être mobilisé en raison d’un problème de santé  et décide alors de faire du renseignement pour la Résistance. Il achète à l’Alpe d’Huez un hôtel L’Ours blanc qui devient célèbre. Il y côtoie une partie des milieux qui l’aideront dans ses années parisiennes. En août 1944, dénoncé aux Allemands, il doit prendre le maquis pour une courte période. Après un passage à Théoule-sur-mer, près de Cannes, il retourne à la fin de la guerre à Paris où il achète le Grand Véfour. L’ancien café de Chartres, très renommé au xviiie siècle, avait perdu son lustre lorsque Raymond Oliver en fit l’acquisition en 1948.

Il connaît quelques années difficiles avant sa reconnaissance comme chef réputé. Il est cependant protégé et aidé par ses relations de l’Alpe d’Huez en particulier avec le directeur de Paris-soir, Pierre Lazareff, qui attire la presse lors de l’ouverture du Grand Véfour en octobre. De là provient probablement l’insertion de Raymond Oliver dans un univers médiatique qui l’aide à entrer à la télévision et lui procure les relations nécessaires à sa notoriété.

Ce fut un feu d’artifice. Les amis tenaient leur promesse et personne ne manquait à l’appel. La presse elle-même par je ne sais quel miracle ou quelle bonne relation, avait daigné se déranger (pour tout dire, j’avais connu à l’Alpe d’Huez Pierre Lazareff et Hélène sa femme, et le petit bonhomme avait le bras long !). Les articles fleurirent un peu partout, on parlait de la féerie des lieux, et de l’hôte sympathique à l’accent du terroir, dont le talent n’était plus à vanter. Personne en réalité ne connaissait mon nom à Paris.

À partir de 1953, et jusqu’à la fin de sa carrière, Raymond Oliver conjugue l’activité de grand chef au Véfour avec celle de présentateur et animateur d’émissions de cuisine. Il accompagne ces activités par des publications de livres qui expliquent ses conceptions de l’art culinaire et donne des recettes en les commentant. De ce point de vue, on peut considérer que cet homme construit pour la première fois, en France du moins, le personnage du chef-homme-de-médias, rôle qu’il revendique pleinement. Dès les années 1950, la presse et les médias contemporains utilisent volontiers des expressions comme « les Raymond Oliver locaux », « à la façon de Raymond Oliver  » qui démontrent que Raymond Oliver a contribué à inventer un genre et un style.

Art et Magie de la cuisine

Le titre de l’émission Art et magie de la cuisine exprime le point de vue que Raymond Oliver défend dans sa pratique de restaurateur comme dans celle d’animateur de programmes télévisés. Il revendique la cuisine comme un art moderne, sujet à évolutions, un art de vivre, source de plaisirs partagés. Face à ceux qui l’accusent de « ravaler l’art au niveau des fourneaux», comme à ceux qui le soupçonnent de vouloir se distinguer des autres cuisiniers, Raymond Oliver rédige en appui à ses thèses et à ses émissions un livre Art et magie de la cuisine  qui explique ses conceptions. « Je ne le répéterai jamais assez, dit-il, la cuisine est un art. »

Je souhaite également que ceux qui parlent de moi comme d’un dissident de la cuisine française, ceux qui forment la cohorte des toques blanches et dont beaucoup […] sont au fond de poètes et des artistes, se libèrent de la discipline rigide qui étouffe leurs élans personnels, leur fantaisie et par conséquent leur possibilité de créer

Il accompagne ses propos par les recettes qu’il a exécutées pour la télévision qui sont « moins compliquées que d’autres » car simplifiées et adaptées aux exigences de la télévision. Il les commente au plan de la tradition, suggère les vins qui doivent les accompagner Raymond Oliver situe sa cuisine dans un contexte, celui de l’après-guerre, de la fin des privations et du marché noir. Il estime que la cuisine a évolué parce que les techniques ont évolué – les réfrigérateurs permettent désormais de cuisiner des produits frais –, mais aussi en raison des transformations des modes de vie : « […] on reste de moins en moins à table et on mange de plus en plus tard ». Ainsi, entre 1914 et 1955, le « plat unique » précédé d’une entrée est-il devenu la norme. Raymond Oliver ne manque pas de rappeler que Curnonsky en avait déjà défendu le principe en 1934. Il se pose en moderne et affirme qu’« en cuisine comme en art [il] est partisan de la “sobriété des lignes et de la richesse de la matière”. Par sobriété des lignes, j’entends renoncement aux fioritures évoquant le style rococo périmé, par richesse de la matière, j’entends qualité des produits  ».

Raymond Oliver s’attache à lier gastronomie et cuisine. Il affirme en s’adressant aux téléspectateurs dans l’émission En direct de chez qu’« il ne faut pas isoler la cuisine simple de la gastronomie». Pour lui les « artistes » de la profession ayant gravi les échelons ont pu exprimer leurs « dons » et connaître « les joies de la réalisation ». S’il fait partie des grands chefs, il exprime son intérêt pour les cuisiniers de tous ordres. Il défend alors l’exercice du métier comme celui d’un « artisan » qui travaille dur, doit avoir le sens de l’« organisation » autant que les « connaissances culinaires ».

Les émissions Art et magie de la cuisine se situent sur le registre de la cuisine, du bien-manger comme un « art de vivre » et non sur celui de la gastronomie. Elles sont réalisées successivement par Hubert Knapp, Gilbert Pineau et quelquefois Pierre Sabbagh. Elles sont diffusées le lundi à 19 heures – donc avant le feuilleton et le journal télévisé de 20 heures, au moment où les ménagères préparent elles-mêmes le repas du soir. À partir de 1960, une variante de l’émission conçue sur le même modèle, La Cuisine pour les hommes s’intercale dans les programmes. Quelques éléments de mise en scène tentent de suggérer une répartition différente des rôles entre Catherine Langeais et Raymond Oliver et une adresse spéciale aux téléspectateurs masculins. De 1966 à 1968, l’émission se décline encore en une autre forme avec La Cuisine à quatre mains sur la première chaîne à une heure de grande écoute, le vendredi de 18 h 25 à 18 h 55.

Ces émissions sont diffusées avec une fréquence hebdomadaire moyennement régulière en fonction des absences de Raymond Oliver, des dates de vacances d’été. Présentées par le chef Raymond Oliver et la speakerine Catherine Langeais, elles durent de 25 à 30 minutes. Sauf exception signalée expressément (Raymond Oliver souligne volontiers que « les émissions ne sont pas truquées  »), elles sont tournées et diffusées en direct à partir d’un studio de télévision qui reconstitue le décor d’une cuisine moderne (placards, évier, fourneaux, instruments) La musique qui accompagne le générique de fin est celle des « Oignons » de Sidney Bechet. Elle donne une touche moderne.

L’évocation directe du Grand Véfour est rare dans les émissions de cuisine elles-mêmes. On la trouve dans des émissions spéciales consacrées à Raymond Oliver, dans des articles de presse, ou encore dans ses livres de mémoires. Le Grand Véfour représente, pour la télévision, l’environnement de Raymond Oliver, environnement qui lui confère l’autorité nécessaire au rayonnement de l’émission. Au petit écran, le chef lui-même exécute des recettes, alors qu’au Grand Véfour il dirige une brigade et n’intervient pas forcément directement dans la confection des plats : « il n’est pas forcément à la cuisine». Raymond Oliver communique aux téléspectateurs des recettes, il leur montre comment faire (un savoir-faire), des astuces, tout en expliquant les habitudes, les traditions, l’intérêt général de tel ou tel produit, arôme, saveur, comment dresser le plat… De plus, il fait connaître aux téléspectateurs les recettes que d’autres téléspectateurs lui ont communiquées par les nombreux courriers qu’il reçoit. Il en choisit certaines qu’il prépare directement à l’écran, tout en mentionnant qu’il ne réalise qu’une des variantes d’une recette régionale dans laquelle les téléspectateurs ne se reconnaîtront peut être pas  Ici il s’inscrit dans l’orientation globale de la télévision des années 1950-1960 en faisant « découvrir la France aux Français » et donc en contribuant à tisser des liens au sein de la communauté des téléspectateurs La mise en scène de l’émission repose sur le tandem réalisé par Raymond Oliver et Catherine Langeais. Raymond Oliver déclare avoir choisi de faire équipe avec elle depuis les débuts de l’émission. Catherine Langeais est un personnage très populaire; outre son rôle de speakerine, elle présente régulièrement d’autres émissions et joue un rôle « indispensable » aux côtés de Raymond Oliver dont la rumeur affirme qu’il est amoureux d’elle. Pendant l’émission, elle-même ne cuisine pas, mais elle commente, pose des questions simples que les téléspectateurs ordinaires seraient susceptibles de soulever : elle prolonge son rôle de médiatrice bien connue des Français qui peuvent ainsi la connaître davantage et dans une posture différente. Elle signale par sa présence que la cuisine se fait à la télévision. Ainsi, quand Raymond Oliver utilise un mixer, elle demande s’il a bien « prévenu les ingénieurs du son ». Alors que la télévision couleur va naître, elle regrette que « nos téléspectateurs n’aient pas la couleur » et ne puissent voir la couleur « framboise, rosé de Provence » de la cuisson. Elle ponctue les émissions par des remarques qui soulignent une adresse constante aux téléspectateurs. Quand Raymond Oliver est concentré sur la réalisation des recettes, elle remplit les temps morts. Lui la sollicite régulièrement en l’appelant familièrement « Catherine » pour lui demander qu’elle passe tel plat, tel ingrédient. Après l’émission, comme elle le raconte dans l’émission En direct de chez, elle le raccompagne en auto jusqu’au restaurant du Grand Véfour.

Les recettes que Raymond Oliver réalise sont en général des recettes simples ou simplifiées, conçues « pour » la télévision. Raymond Oliver aime à dire qu’il œuvre pour « ses » téléspectateurs, avec qui il entretient une correspondance permanente. Les émissions marient les plats des plus simples à certains plus élaborés. Certaines sont consacrées à des recettes simples comme celle des crêpes ; d’autres à des recettes que le Grand Véfour affectionne comme les « œufs Louis Oliver » – du nom du père de Raymond Oliver – ou le « pigeon Prince Rainier ». Certaines recettes portent les noms de ceux qui les ont aimés : Jean Cocteau, Colette, qui étaient des habitués du Véfour. Les recettes sont reprises dans les livres que publie à intervalles réguliers Raymond Oliver : Art et magie de la cuisine (1955)  ; La Cuisine pour les hommes (1958) ; Recette pour un ami (1964)  ; Adieu Fourneaux  (1984). Les émissions s’attachent à montrer en gros plan les gestes de Raymond Oliver. Celui-ci devient réputé pour son art du faire, sa capacité à découper un poulet avec une extraordinaire vélocité  à hacher menu si bien que d’émissions en émissions les mêmes plans se répètent. La caméra se centre sur les mains de Raymond Oliver dont Sacha Guitry déclare que « [ses] mains à la télévision, jouaient merveilleusement la comédie  ». Avant l’émission Raymond Oliver la répète plusieurs fois si bien que ses gestes sont rapides et précis à l’écran. De plus, il les adapte dans la perspective du regard du téléspectateur. Ainsi, il déclare dans une interview à Télérama : « Les spécialistes des Halles m’ont reproché d’ouvrir les moules à l’envers. Je le sais, parbleu, mais si je les ouvrais à l’endroit, la caméra ne pourrait pas montrer le détail de l’opération » Il annonce méthodiquement chaque opération en répétant « Je m’en vais » verser, couper, mélanger etc. Faisant le bilan de ses rapports avec la télévision dans le livre Adieu fourneaux, il écrit :

[…] On imagine mal le travail que demande une demi-heure d’antenne à quelqu’un qui n’est pas du métier. Jamais je n’avais tant lu, tant étudié, tant recherché de documentation, tant répété méthodiquement, tant visé le mot juste, tant souhaité la simplification. Les téléspectateurs ont joué le jeu, m’envoyant lettres et recettes, livres et revues, anecdotes et encouragements

Raymond Oliver s’affirme progressivement en porte-parole de la cuisine française à l’étranger. Il se rend aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964, à l’Exposition universelle de Montréal en 1967. Il réalise des émissions de télévision en Belgique, en Angleterre, aux USA, au Canada, au Mexique et devient rapidement pour la presse un « ambassadeur du goût français », une « vedette internationale », un « cuisinier globe-trotter ». En France, il consacre plusieurs de ses émissions à des recettes de pays étrangers qu’il contribue à introduire : la paella, la moussaka, le chicken pie, le couscous ou encore le « suka yaki », sorte de fondue japonaise qu’il réalise en présence d’une femme japonaise à qui il s’adresse en anglais et qu’il invite à déguster le plat préparé à l’écran. Il imite le style de la cuisine chinoise en cuisinant des fleurs de capucine et convie une de ses relations de la télévision de Hong Kong à déguster et comparer le plat aux plats chinois traditionnels 

Entre 1954 et 1968, les émissions se renouvellent peu même s’il semble que les recettes soient plus simples dans les années 1960 qu’elles ne l’étaient au début de l’émission . Les deux présentateurs ont une telle habitude de l’émission qu’elle ressemble de plus en plus à une conversation entre amis ponctuée de bons mots et de rires. La mise en scène des relations internationales nouées par Raymond Oliver à l’étranger constitue un des éléments du changement. Toutefois, comme plusieurs émissions qui occupaient le petit écran depuis les origines, l’émission dont le style avait peu varié en quatorze ans, a été arrêtée dans un souci de renouvellement par la direction de l’ORTF en 1968.

Vulgariser un art ?

Les émissions culinaires Art et magie de la cuisine s’inscrivent pleinement dans le projet démocratique de la première télévision et de l’énoncé de ses missions « Informer, instruire, distraire ». Elles communiquent aux téléspectateurs une partie du savoir d’un grand chef, elles donnent à voir la façon de les réaliser et contribuent ainsi à l’éducation culinaire et au bien vivre quotidien des Français dans leur foyer. Parti du projet de porter à la connaissance des téléspectateurs la « richesse, la diversité de la cuisine française », Raymond Oliver a été fréquemment accusé de faire de la « vulgarisation de la cuisine française ». Il s’en défend et affirme que son but était de « vulgariser sa noblesse, sa permanence, ses traditions et sa vérité ».

Plusieurs écrits et témoignages véhiculent des critiques contre lui qui est accusé de dévoyer un art enraciné dans la tradition, de déserter au profit des médias et de sa renommée internationale la cuisine du Grand Véfour. Ainsi François Mauriac, pourtant amateur de télévision, oppose dans ses Chroniques de L’Express, le 19 novembre 1959, la cuisine du père Oliver qu’il considère comme de l’art à celle du fils Raymond qu’il qualifie de « parleur » :

Raymond Oliver, illustre fils d’un illustre père, à qui la télévision a manqué pour être aussi célèbre que son fils […]. L’art d’Oliver, le père de Raymond, tenait dans la rencontre de la savoureuse cuisine bordelaise avec tous les raffinements de l’art culinaire le plus poussé. Il n’était pas parleur comme son rejeton, mais noble et taciturne. Ce chef était un vrai seigneur venu du Nord, je crois bien : c’est à sa mère que Raymond doit son accent langonais.

En 1963, Le Guide Julliard de Paris, de Henri Gault et Christian Millau, évoque les critiques adressées au style de Raymond Oliver et affirme que cela n’entache en rien les qualités gastronomiques du Grand Véfour *** qu’il place en tête de ses recommandations.

Ceux qu’agacent son génial talent de bateleur, ses inventions insolites, ses mots incisifs, prétendent que Raymond Oliver été lancé par la télévision comme Françoise Hardy. C’est qu’ils n’ont jamais goûté sa cuisine du Grand Véfour ou qu’ils sont venus chez lui un jour de disgrâce (car parfois on y est cruellement déçu). Certes, il faut se donner du mal, solliciter les conseils de Raymond Oliver ou de son fils, et ceux du grand vieux sommelier, M. Henocq, puits de vins et de science. Mieux encore que les incomparables spécialités bordelaises de la saison […], il sera dans ce cas proposé des mets admirables et complexes, comme ces œufs Louis Oliver […] 

 

Raymond Oliver a donc inventé le personnage du grand chef médiatique contemporain soucieux de faire connaître des savoir-faire, une tradition à travers différents médias. II entendait dévoiler sans le dénaturer ce qu’il considérait comme un « art », au bénéfice des téléspectateurs. Il a, pour cela, mis à profit la tradition culinaire familiale qu’il a croisée avec une connaissance de la littérature gastronomique traditionnelle dans un échange avec les cuisines du monde. Il s’est coulé dans les ambitions démocratiques de la télévision des débuts dans un souci de modernité, aussi bien sur le plan culinaire que dans la maîtrise de sa communication. Ce faisant, il a essuyé des critiques quelquefois virulentes qui participent du débat contemporain sur la transformation des modes de vie et des pratiques comme sur le rôle de la télévision dans l’apprentissage des savoirs et de l’art.

Source: Cairn info