La France, pays de la gastronomie:
«Ce n’est pas anodin si le mot restaurant est typiquement français»
Patrick Rambourg, historien de la cuisine et de la gastronomie, revient sur les rapports particuliers qu’entretiennent les Français avec l’alimentation…
La gastronomie française classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, des études qui révèlent que les Français font de plus en plus la cuisine et lient plaisir et alimentation…f Y’a-t-il vraiment une exception française du côté des papilles? Nous avons demandé à Patrick Rambourg, spécialiste de la question et auteur de Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises, (Editions Perrin).
A quand remonte, selon vous, cette réputation de la cuisine française?
Dès la fin du Moyen Age, une identité alimentaire commence à se distinguer en même temps qu’apparaissent les premiers traités culinaires (fin 13e, début 14e). Le poète Eustache Deschamps regrette les petits pâtés de Paris. Mais c’est vraiment à partir de la Renaissance que cette identité alimentaire est reconnue à l’étranger. Selon le témoignage d’un ambassadeur vénitien en 1577, les Français aiment les arts de la table, savent rôtir la viande.
D’où cela vient-il selon vous?
La royauté française avait très bien compris que l’image de la civilisation française passait aussi par les arts de la table. A cette époque, le Royaume de France a un rayonnement extrêmement fort au niveau européen. La grande cuisine est pratiquée à Versailles, mais petit à petit le modèle se répand dans les autres couches sociales, et une cuisine citadine et populaire se développe à Paris, qui en 1328, est la plus grande ville de l’Occident médiéval.
Comment y mange-t-on?
Dès le Moyen Age, tout un système de restauration se met en place à Paris, avec des spécialistes du prêt-à-manger. Il n’y a pas d’espace culinaire à la maison, sauf pour les riches et les élites. Du coup, les Parisiens mangent à la taverne ou à l’auberge ou achètent à emporter des petits pâtés, des potages, des légumes cuits, des oies rôties, des gaufres, des crêpes. Ce n’est pas anodin si le mot restaurant est typiquement français. Avant le 18e, il s’agissait d’un «bouillon de santé», pour «restaurer» le corps.
Pourquoi la cuisine italienne, très reconnue également, n’a pas connu le même destin?
Parce que l’Italie ne s’est unifié qu’à la fin du 19e siècle. Le pays était composé de mini-Etats, avec chacun sa propre cuisine. En France, les chefs sont su codifier leurs pratiques culinaires et les exporter. En 1651, paraît Le Cuisinier françois, un livre de recettes. Deux ans plus tard, il est traduit en anglais, puis partout en Europe. Un modèle français se met en place. Au 18e, les livres de cuisine allemands ou italiens sont truffés de mots français, et avoir un chef français est à la mode.
Cela explique-t-il les rapports particuliers que les Français entretiennent avec l’alimentation aujourd’hui, comme le fait de commenter les plats qu’ils dégustent?
Le fait de parler de nourriture en mangeant prouve que très très tôt, on a appris à parler du sujet. La gastronomie, ce n’est autre que le discours sur le boire et le manger. Tout cela fait désormais partie d’une sorte de conscience collective en France.
Peut-on toujours parler de modèle culinaire français aujourd’hui?
Il a dominé jusque dans les années 70-80, ce qui est déjà très long! Maintenant, avec la mondialisation, la cuisine parle à tout le monde et les influences circulent très vite. La cuisine française n’est plus le seul et le premier modèle mais elle reste une référence, notamment dans les écoles hotelières. C’est tout cela qu’a voulu récompenser l’Unesco.
Source: 20 Minutes