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Au restaurant, le client est-il toujours le roi ?

Ils exercent une influence souveraine sur le triomphe des restaurants dont ils sont les hôtes. Et cette assertion est particulièrement vraie à l’ère du numérique, où la notation en ligne est reine, et peut faire et défaire la popularité auprès des foules. Mais cela justifie t-il pour autant caprices, critiques et extravagances des clients ?

Le client et ses droits souverains 

« La mission du chef : tu dois donner de la joie, de l’amour à des gens heureux qui te choisissent pour passer un bon moment. » (Jérôme Ferrer). Et c’est on ne peut plus vrai !

Courtisé de toutes parts, le client qui choisit de débourser pour un service aujourd’hui a conscience de sa valeur, a conscience de son pouvoir. Cela ne rend pas moins légitime sa volonté de bénéficier d’un service qui répond en tout point aux engagements auxquels ses hôtes font allégeance. Selon les restaurateurs clients Zenchef, peu importe la nature de l’établissement, que ce soit une pizzeria, une table gastronomique ou un bistrot de quartier, sont sacrés : l’accueil, la convivialité, la qualité, l’authenticité, la courtoisie, et le fait de savoir s’adapter aux besoins des convives. 

Qu’en est-il des tables couronnées d’une étoile ? Celles-ci doivent-elles prêter serment à une hospitalité qui ferait rougir la perfection même ? Il faut dire que les expectatives sont aussi conséquentes que la bourse qui y sera dédiée. Dans ces temples de l’accueil, c’est l’excellence que l’on prône.

Bernard Loiseau par exemple, reconnaissait qu’une visite de son restaurant à Saulieu « coûte beaucoup d’argent », que par conséquent « il doit y avoir le respect de la clientèle », et « la gueule du chef est comprise dans l’addition »*. L’expérience réussie, surtout dans restaurant un étoilé, exigerait ainsi la présence du chef : « je ne vais jamais en salle mais je fais des apparitions; les clients sont ainsi sécurisés, tiens regarde il est là ». « Au niveau où je me suis situé, j’ai un nom, j’ai trois étoiles, il faut être au top niveau partout. Quand un client s’en va de chez moi, il ne doit avoir qu’une envie…celle de revenir ! Il est là, il se gratte les cheveux, il cherche à voir les conneries, les machins qui vont de travers, et bien il n’y en a pas. C’est l’excellence totale. Donc, on met le paquet, et quand un client paye 100 €, il en a pour 100 €. » Ce serait donc un droit régalien pour le client d’exiger un service en adéquation avec le tarif qui lui sera demandé.

À noter que certains établissements vont même jusqu’à laisser les clients eux-mêmes édicter le prix de la prestation. C’est peut-être attribuer une prérogative excessive mais c’est une forme d’autorité qui fut auréolée de succès !

De l’importance d’un client comblé

Le chef Loiseau l’avait très justement souligné : quand le client quitte les lieux, il ne doit avoir qu’une envie : revenir. En somme, il importe de lui faire vivre une expérience réussie. Pour de nombreux chefs et restaurateurs, un tel dessein est naturel. C’est d’ailleurs très souvent ce qui a déterminé leur voie : l’envie d’offrir un bon festin, dans une atmosphère conviviale et chaleureuse. Pour ceux qui ont une conscience moindre de l’expérience client, il y a pléthore de démonstrations qui attestent de leur caractère impérieux dans le triomphe du restaurant. 

Non seulement fidéliser un client est moins coûteux que d’en acquérir des nouveaux, mais sous l’empire numérique où le bouche à oreille digital gouverne le choix des consommateurs, l’influence dominante des avis est sans précédent. Selon une étude, 80% des internautes consultent les avis pour trouver la bonne adresse.

Propriétaire d’une pizzeria classée numéro 1 dans les catégories économique et intermédiaire sur l’une de ces plateformes, Quentin Sauret constate que les commentaires positifs ont augmenté la fréquentation de son restaurant ainsi que son chiffre d’affaires, lui permettant même de développer sa main d’oeuvre : « On a recruté un nouveau salarié et un apprenti grâce à cette bonne réputation sur le net. Et on ne s’interdit pas d’embaucher encore. »

À l’inverse, une mauvaise position dans un classement sur les sites spécialisés peut considérablement nuire au revenu.

Ce constat a encore plus de force dans l’univers de la restauration qui est ultra-concurrentiel, et où le choix est abondant. C’est l’une des raisons pour lesquelles Freddy Zerbib, propriétaire du restaurant El Tio (Orléans) affirme que le client est bel et bien roi : « Le client a fait le choix de venir chez nous, il aurait pu aller ailleurs. Donc il a droit à notre plus grand respect et il mérite qu’on le chouchoute », »lorsque vous vous apercevrez qu’il ira voir ailleurs, il sera trop tard pour le récupérer et lui rappeler qu’il est très important pour notre affaire ». Ce dernier point est particulièrement juste : le client est l’essence même de la réussite d’un établissement, il en est indissociable.

Plus vos clients seront comblés, plus ils seront à même de recommander votre restaurant à leur entourage. Autrement, ils pourront brandir le sceptre du commentaire négatif et anéantir votre renommée. 

Le règne du client et ses limites

« Le client est roi, oui mais il ne faut pas le laisser régner ! » objecte Mary-Zy Demirbilek qui gère Beyit Jedo à Paris. « Je pars du principe que j’ai des « lois » dans mon établissement et elles s’appliquent à tout le monde. Je suis là pour servir mais dans le respect et ça doit être réciproque. Les clients qui rentrent et ne répondent pas au bonjour ne sont pas installés, les clients qui ne comprennent pas qu’ils ne peuvent pas avoir telle ou telle table parce qu’elle est déjà réservée sont priés de ne pas revenir etc…Également, pour la cuisine, le menu est indiqué à l’extérieur; donc avant d’entrer; ils savent à quoi s’attendre pour le menu. S’ils rentrent dans notre établissement, c’est pour consommer sur notre carte. Évidemment pour les allergènes, nous nous adaptons; de même si un client n’aime pas tel ou tel ingrédient. Mais la cuisine n’est pas là pour subir les caprices ».

Un postulat que confirme Arnaud Metivier (restaurant Ô Table Oh, Saint-Pryvé-Saint-Mesmin) « Seuls les bons restaurateurs n’ont aucun souci à se faire quant aux clients-rois, car il peuvent contredire et les voir revenir quand même. Les mauvais font des courbettes à leurs clients et les voient juste comme des pompes à fric. C’est une triste réalité ». Autrement dit, savoir choyer, sans pour autant être servile ou rampant.

Parce que s’incliner devant le pouvoir quasi royal du client ne revient certainement pas à lui obéir aveuglément, ou à donner à blanc-seing à des attitudes tyranniques. Le soigner n’implique certainement pas de trahir ses valeurs, sa conception des convenances. Face à certaines conduites, savoir dire non peut s’imposer. Laisser s’exprimer sa droiture, ses notions de courtoisie, son professionnalisme aussi. Les établissements ne sont jamais à l’abri de comportements grossiers, voire de chantages ou de menaces. Il n’est plus exceptionnel de voir certains réclamer des extras, des digestifs, des cafés, en contrepartie d’une note favorable. Outre ces maîtres chanteurs, les retardataires, les discourtois, les poseurs de lapins ne sont pas rares non plus. Et c’est là, dans ce type d’attitudes condamnables, que se situent les limites du règne suprême du client.

Source: Zenchef